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La force du caramel
Juillet 2022 – Grand ami de La Ferme, membre de notre conseil d’administration, Curt Armstrong travaille pour L’Arche Internationale. Il est américain.
Curt replonge ici dans ses souvenir d’enfance. Il se souvient de Genève et de la rencontre de Dominique, rencontre qui l’a transformé.
À l’âge de 6 ans, j’ai fait une rencontre qui a porté beaucoup de fruit dans ma vie. C’était en 1973. J’avais jusqu’alors vécu à Atlanta, aux États-Unis. Mais cette année-là, mon père, historien, devait enseigner à Genève, et il était prévu que le reste de la famille vienne avec lui. La Suisse me semblait un pays très lointain, une terre d’aventures et de découvertes. J’étais nerveux, et j’avais le cœur dans un état d’attente et d’excitation.
Juste avant de partir, ma famille a connu un drame : mon grand-père, le père de ma mère, est mort subitement. Ce fut pour moi la toute première expérience de décès d’un proche aimé. Cela eut une conséquence sur notre déménagement en Europe : mon père est parti seul juste après les funérailles, tandis que ma mère, mon frère aîné et moi sommes restés quelque temps aux États-Unis, au côté de ma grand-mère. Quand nous sommes finalement arrivés à Genève, l’année scolaire était bien entamée.
Pour cette raison, ce qui fut mon premier jour d’école était, en fait, un jour ordinaire pour tout le reste des écoliers. Quand mes parents m’ont déposé devant le bâtiment, les enfants jouaient dehors. Une cloche a sonné, et ils ont tous disparu dans les salles de classe. Je suis resté dans la cour, seul, seul au monde, seul sur mon île déserte. Je ne parlais pas français. Je ne connaissais personne. Je ne savais pas où aller. Je me suis alors assis sur un banc, sous un arbre, et ai commencé à pleurer. Enfin, après un temps qui m’a paru infini, un professeur est sorti, est venu me trouver, m’a demandé si j’étais bien le « garçon américain », et m’a mené à ma classe. C’est ainsi qu’a commencé mon année scolaire.
Les cours se passaient bien, même si je ne comprenais pas grand-chose. Mais ce dont je me souviens le plus, c’est du temps des récréations, quand les enfants formaient des groupes d’amis pour jouer. Je me tenais seul, à l’écart ou assis sur un banc. Cela a duré un certain nombre de jours, mais du haut de mes six ans, ce temps m’a semblé la moitié d’une vie !
Puis un beau jour, pendant la récréation, un garçon est venu. Il s’appelait Dominique, et je me souviens que sa famille vivait vers la gare. Prudemment, Dominique s’est approché de moi. Nous nous sommes observés en coin. Après une minute, il m’a tendu sa main fermée. Puis il l’a lentement ouverte, et quelque chose est apparu au creux de sa paume : c’était un bonbon au caramel.
Je l’ai promptement saisi, la joie au cœur. Dominique m’a alors fait signe de le suivre, pour rejoindre un petit groupe d’amis. Nous avons commencé à jouer ensemble. À partir de ce moment-là, tout a changé pour moi. J’étais dans le groupe ; le monde qui m’entourait s’animait. Ce fut comme si le printemps apparaissait. Les feuilles étaient vertes et les oiseaux chantaient.
Cette année à l’étranger fut pour moi une période de croissance, avec de nombreuses aventures qui m’ont ouvert à la vie d’une nouvelle manière. Mais au début de tout cela, il y eut ce garçon américain perdu, et cette main de Dominique, tendue pour offrir un caramel et une place dans le cercle. Le souvenir de ce moment est resté vivant, comme un refrain, quelque part dans mon monde intérieur. Dominique m’a appris une leçon simple et puissante, qui a contribué par la suite à guider ma vie, en me montrant comment chacun a la possibilité, à l’aide de gestes qui peuvent sembler anodins, de renverser les barrières et d’inviter quelqu’un dans un groupe, dans une communauté, d’inviter quelqu’un dans la vie elle-même…
Curt Armstrong