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Rumination

Mai 2023 – Mais comment font-ils ? L’un des responsables internationaux de L’Arche nous révèle sa routine matinale : pour nourrir sa vie intérieure, Stephan Posner prend un moment tous les matins pour lire la Bible hébraïque. C’est comme une laborieuse rumination.

J’avais environ 28 ans quand j’ai pris l’habitude de déchiffrer, les jours de semaine et avant de démarrer ma journée, quelques versets en hébreu de la bible juive. Pendant une trentaine de minutes, après quelques instants de méditation ou de prière (je ne sais jamais très bien où termine l’un et commence l’autre), aidé de traductions, d’un dictionnaire et d’une concordance, je déchiffre et rumine avec application les mots, ou groupes de mots, de 3 à 5 versets. Je reprendrai ces versets le lendemain avant d’avancer encore de quelques lignes. Cette rumination laborieuse (il m’a fallu 25 ans pour achever une première lecture de la bible), jointe à l’indispensable tasse de café et aux allers-retours du regard entre les lettres carrées du livre et le train-train de l’autre côté de la fenêtre, me donne une joie et une paix qui m’assistent depuis des décennies.

Le week-end, le décor est le même : même fauteuil, même tasse de café, même fenêtre, simplement le rendez-vous est moins matinal et la bible hébraïque est remplacée par tel ou tel livre de poésie accompagné d’un peu de musique. Là encore, c’est un espace semblable qui va s’ouvrir lentement et qui me délie, pour une part au moins, des tensions ou des nœuds qui sont eux aussi des compagnons fidèles.

Ces dernières années, je me suis davantage interrogé sur « ce qui se passe là » et je bute toujours sur une même incompréhension foncière. Jamais je n’accède à une explication définitive ou simplement satisfaisante. Je sais que « ça vient », comme une joie venue du dehors, une montée de quelque chose qui m’accorde à la manière d’un instrument.

Il ne faut pas négliger cependant ce qui dans cette expérience s’explique assez simplement. Dans le fond, c’est pour l’essentiel un exercice d’attention. Un exercice, parce qu’il faut s’astreindre à la discipline de ce rendez-vous quotidien, mais aussi (et c’est déjà un peu plus mystérieux) parce qu’il y a la confrontation à des textes poétiques ou bibliques, qui ne se livrent pas sans un certain labeur qui est peut-être d’abord celui d’une attention. Chacun sait combien la dispersion est un état presque inévitable tant les sollicitations ou les distractions sont notre ligne de plus forte pente. Il n’y a d’ailleurs pas d’inconvénient à répondre aux sollicitations ou à se distraire sauf à s’y égarer et perdre notre capacité d’écoute ou de contemplation, celle d’une passivité heureuse.

Il est sans doute dans la nature même de cette expérience de joie ou de paix que de ne pas pouvoir être nommé. Je peux toutefois attester de son caractère indubitable et qui fait face aux misères du monde et de soi sans prétendre les résoudre. Et s’il devait y avoir un mot pour en donner une indication, contre tout ce qui m’enferme et me rapetisse, je dirais que c’est vers l’ouvert que cela me conduit.

Stephan Posner

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